Entretien avec Sigrún Tómasdóttir et Sverrir Guðmundsson
Le plus grand service de l'eau d'Islande, Veitur, a installé 5 BactoSense au cours des cinq dernières années afin de réduire le risque de contamination de l'eau et de renforcer la confiance dans la qualité de l'eau et, par extension, la santé publique.
Dans cette interview, Sverrir Guðmundsson, responsable de la recherche et du développement, et Sigrún Tómasdóttir, géologue à Veitur, nous expliquent comment la mise en œuvre du BactoSense les a aidés dans leurs projets de recherche et leur a permis de mieux comprendre et contrôler leur système. Ils expliquent comment les mesures en temps quasi réel avec le cytomètre de flux automatisé (dans des conditions normales, sous la pluie et en cas de fonte des neiges) leur ont permis d'améliorer la gestion de leurs forages. Sverrir et Sigrún partagent également leur vision de l'avenir pour Veitur et la surveillance de l'eau. Grâce à leur expérience avec BactoSense, ils donnent également des conseils pratiques et précieux aux futurs utilisateurs.
Chère Madame Tómasdóttir, cher Monsieur Guðmundsson, vous êtes tous deux des professionnels de l'eau travaillant en Islande. Parlez-nous un peu de vous.
Sigrún Tómasdóttir: Je suis géologue au département Recherche et Développement de Reykjavik Energy, la société mère de Veitur Utilities. Je travaille avec Sverrir sur des projets liés à l'échantillonnage et à l'analyse des données pour les tests qualité. Nous gérons également les questions liées à la qualité de l'eau et aux réserves d'eau. En outre, pour chaque service, nous établissons des projets d'avenir en tenant compte de multiples paramètres, tels que l'évolution de la demande en eau, le changement climatique, la taille et la situation géographique. Chaque service a une sensibilité différente aux événements et à la qualité de l'eau. En évaluant la manière dont ils sont affectés par différents paramètres, nous pouvons améliorer notre planification et notre prise de décision en matière de forage, de réserves ou de qualité de l'eau, par exemple.
Sverrir Guðmundsson: Je suis responsable de la recherche et du développement au Veitur Waterwork à Reykjavik. Je participe à des projets axés sur l'avenir de la production et de la qualité de l'eau. Je travaille également sur des projets techniques tels que la gestion des actifs, la planification des systèmes, l'innovation et la technologie intelligente. Ces aspects sont essentiels pour maintenir et améliorer le système de distribution d'eau.
L'Islande est un pays aux paysages spectaculaires, avec ses volcans et ses glaciers, par exemple. Avez-vous des facteurs spécifiques à prendre en compte pour la production et la distribution de l'eau ?
Sigrún Tómasdóttir: Le fait d'être situé à la limite de plaques tectoniques et d'avoir des volcans actifs signifie qu'il y a beaucoup d'activité sismique. Nous devons régulièrement y préter attention, surtout ces dernières années. Une éruption pourrait-elle se produire à proximité de nos sites de production ? Quel effet cela pourrait-il avoir ? Y a-t-il un risque qu'un tremblement de terre important impacte notre système de distribution ou nos réserves ? Ce ne sont pas des menaces quotidiennes, mais nous devons en tenir compte.
Sverrir Guðmundsson: Nous exploitons des réseaux d'adduction d'eau à Reykjavik et dans l'ouest de l'Islande, et ces régions sont très différentes. Prenons Reykjavik : elle est située sur une péninsule au bord de la dorsale atlantique, une zone volcanique active. L'eau pompée dans les forages est drainée à travers des champs de lave holocène très perméables et s'écoule sur de longs chemins. Elle est filtrée naturellement pour atteindre une qualité hygiénique très élevée, et nous pouvons donc la distribuer le plus souvent sans aucun autre traitement chimique ou ajout de nutriments.
Veitur Utilities est la plus importante société de services publics d'Islande, desservant environ la moitié de la population islandaise. Quelles sont les réglementations en matière d'eau potable que vous devez respecter ?
Sigrún Tómasdóttir: Chaque année, les autorités sanitaires prélèvent des échantillons dans tous les services de distribution d'eau de Veitur Utilities en vue d'une analyse microbienne. La fréquence de l'échantillonnage dépend de la population de chaque région. Ainsi, par exemple, dans la capitale, les autorités sanitaires prélèvent chaque année une centaine d'échantillons sur le réseau de distribution. Elles analysent aussi régulièrement le pH, la conductivité et la température. Les autorités sanitaires procèdent ensuite huit fois par an à une analyse chimique complète de l'eau provenant afin d'identifier tous les contaminants possibles. Cette analyse est effectuée une ou deux fois par an dans nos autres plus petits service de distribution d'eau.
Sverrir Guðmundsson: L'indicateur de sécurité pour la contamination microbienne est la culture et la détection d'E. coli et du microbiome total se développant à 22°C. En Islande, la réglementation stipule que pour 100 ml, aucune bactérie E. coli ou coliforme n'est autorisée, et que la tolérance pour les autres microbes se développant à 22°C est inférieure à 100.
Pouvez-vous nous dire comment vous contrôliez la qualité de l'eau avant BactoSense ?
Sverrir Guðmundsson: Avant la mise en œuvre du BactoSense en 2018, nous prélevions manuellement des échantillons pour faire des cultures bacteriennes en milieu solides afin de contrôler la qualité microbienne. Nous rejetions l'eau de moindre qualité et distribuions de l'eau potable non traitée. Cela était possible à Reykjavik, car nous exploitons deux zones de production avec une capacité de production totale de 2 400 litres par seconde, soit le double des pics de consommation d'eau les plus élevés que nous ayons jamais observés. À l'époque, notre système de production était confronté à deux problèmes : d'une part, la culture microbiologique ne nous permettait pas de contrôler en temps réel l'eau provenant des zones de production inférieures. Dans ces zones, les forages plus anciens et moins profonds sont plus exposés à la contamination de surface. Par conséquent, en hiver (entre octobre et avril), nous les mettions entièrement hors service ; d'autre part, nous faisont face à des restrictions de production dans la zone supérieure. Nous n'avons l'autorisation de produire que 300 litres par seconde et par an à partir de forages plus profonds et de meilleure qualité, car ils sont moins exposés à la contamination par les eaux de surface. Les forages plus profonds ne suffisent pas à eux seuls à satisfaire la totalité de la demande.
Qu'est-ce que BactoSense a changé pour vous et qu'avez-vous appris en l'utilisant ?
Sverrir Guðmundsson: Avant de mettre en œuvre BactoSense, nous ne savions pas comment les forages les plus exposés se comportaient pendant les inondations. Mais après un grand événement de dégel en 2018, nous avons fait deux choses :
1- Nous avons mis en œuvre une désinfection par UV de prévention pour les zones inférieures qui sont plus exposées.
2- Nous avons mis en Å“uvre une mesure directe avec BactoSense, qui nous a fourni beaucoup plus d'informations sur le comportement des puits de forage.
BactoSense mesure le nombre total de cellules (TCC) dans l'eau. En surveillant les forages et en mesurant les niveaux de base, nous savons maintenant comment les forages que nous avons observés se comportent et à quel point ils sont sensibles pendant les événements. En comparant les valeurs TCC de BactoSense avec le nombre de bactéries cultivées, nous constatons toujours une très forte corrélation, mais pas de corrélation uniforme. Cela s'explique par la complexité des microbiomes qui varient d'une saison à l'autre, d'un endroit à l'autre et même d'un événement à l'autre. Ce qui est certain, c'est qu'une augmentation du nombre de bactéries cultivées, en particulier dans les immeubles de grande hauteur, est un indicateur fort de la contamination du microbiome. Nous pouvons maintenant utiliser les zones inférieures avec plus de confiance, car nous savons qu'une augmentation des valeurs de TCC indique fortement une contamination, et nous pouvons cesser d'utiliser le forage.
Sigrún Tómasdóttir: Nous utilisons également BactoSense manuellement pour certains des plus petits services publics en prélevant des échantillons que nous pouvons analyser en moins de 30 minutes. Par exemple, il y a quelques mois, nous avons eu ce qui semblait être un échantillon contaminé, prélevé lors d'un audit. Nous étions sceptiques quant au résultat, car les conditions météorologiques étaient froides et calmes, ce qui est propice à une bonne qualité de l'eau. Sverrir s'est gracieusement déplacé un vendredi après-midi pour prélever un échantillon à mesurer sur le BactoSense. Nous avons comparé les résultats obtenus aux échantillons précédents de ce même service public. Nous avons constaté que la valeur de TCC ne dépassait pas celle des échantillons de référence. Nous avons pu immédiatement informer les autorités sanitaires qu'il s'agissait peut-être d'un échantillonnage défectueux sans attendre trois jours pour les résultats de la culture. Nous avons pu évaluer rapidement la situation et éviter de perturber la population.
Sverrir Guðmundsson: Cette situation nous a permis de mettre en place un processus de rinçage fiable avant l'échantillonnage pour les autorités sanitaires. Celles-ci peuvent désormais se fier entièrement à la qualité de leur processus de collecte d'échantillons.
Qu'avez-vous appris d'autre sur vos forages avec BactoSense ?
Sigrún Tómasdóttir: Nous avons appris que les communautés bactérienne autour des puits que nous utilisons peut être très diverses, même au sein d'une même zone de production. Nous avons également appris que certains puits de forage présentent des valeurs de base de TCC de plusieurs ordres de grandeur supérieures à ce à quoi on peut s'attendre, ce qui ne signifie pas que l'eau soit mauvaise. C'est simplement le reflet d'une communauté bactérienne très différente. Nous apprenons beaucoup de choses et nous continuons nos recherches. Par exemple, nous allons déplacer certains de nos BactoSense dans les zones que nous n'avons pas encore surveillés en continu pour mieux comprendre le comportement des forages individuels.
Sverrir Guðmundsson: Nous avons également appris que les valeurs de TCC diminuent lentement avant de se stabiliser après des précipitations. Cela peut prendre des jours à Reykjavik et même des semaines dans certains des forages que nous avons surveillés dans l'ouest de l'Islande. Il est essentiel pour nous de savoir à quelle vitesse les forages se rétablissent et se stabilisent après un événement.
L'opérateur fixe les seuils de qualité de l'eau. Sans BactoSense, le seuil est fixé en fonction de la période de l'année. Avec BactoSense, la haute qualité est définie par la valeur de base de TCC dans l'intervalle de confiance de 99 %. Tout ce qui se situe entre les deux est considéré comme de bonne qualité.
Vous avez indiqué que les valeurs de base de TCC varient d'un forage à l'autre. Comment avez-vous déterminé le seuil pour votre évaluation de la qualité de l'eau ?
Sverrir Guðmundsson: Pour établir des seuils de qualité pour les forages, nous avons mesuré les valeurs de base stables dans des conditions météorologiques favorables, puis nous avons appliqué un taux de confiance de 99 %. Lorsque nous observons une augmentation rapide de TCC au-dessus de notre seuil, nous savons que cela indique fortement une contamination bactérienne. C'est ce que nous avons appris en le comparant à certains échantillons cultivés. Si nous observons une forte augmentation des valeurs de TCC, nous avons une forte indication d'une baisse de qualité ou d'une contamination.
Les seuils sont propres au forage à ses communautés bactériennes complexes spécifiques, qui peuvent varier en fonction des événements, du lieu, de la période de l'année, etc. En effet, nous avons constaté qu'au cours de certains événements, les valeurs de TCC dans certains forages dépassaient le seuil fixé, et que l'eau restait de bonne qualité. Par conséquent, nous fixons nos seuils de manière itérative. Nous les fixons généralement plus bas que nécessaire, car notre capacité de production est deux fois supérieure à la demande et nous pouvons nous permettre d'être plus stricts.
Comment BactoSense vous aide-t-il à gérer la production d'eau, et quels bénéfices en tirez-vous ?
Sigrún Tómasdóttir: Nous sommes encore en phase d'apprentissage, et déjà , BactoSense nous aide à réduire le risque de contamination de l'eau. Outre l'amélioration de la santé publique, il y a aussi un impact social sur la population, qui peut se fier à la qualité de l'eau.
Sverrir Guðmundsson: Notre entreprise se veut transparente. Nous voulons tenir la population informée autant que possible par l'intermédiaire des médias, dans des lieux publics et lors de conférences. Nous restons ouverts. Ainsi, lorsque nous affirmons que nous avons la meilleure eau du monde (sourire), c'est que nous connaissons les processus naturels par lesquels nous obtenons une eau pure.
Sigrún Tómasdóttir: C'est une fierté nationale que d'avoir une eau propre, et nous voulons maintenir cette situation. Nous sommes conscients de nos avantages en matière de qualité de l'eau par rapport à d'autres pays, mais nous avons nos propres défis à relever. Par exemple, notre substratum rocheux est très perméable, ce qui signifie que la contamination de surface, si elle se produit à proximité de nos champs de captage, peut pénétrer dans les eaux souterraines et y persister pendant une longue période. C'est pourquoi il est très important que de grandes zones de production d'eau aient été définies il y a plusieurs dizaines d'années. L'une des tâches essentielles de Veitur est de préserver cet héritage et les zones de protection. Nous nous efforçons de sensibiliser le public à ce sujet, car tout le monde ne sait pas d'où vient l'eau et à quel point elle peut être sensible.
A l'avenir, peut-on imaginer que BactoSense remplacera la culture bacterienne ?
Sverrir Guðmundsson: Oui, sans aucun doute. C'est ma vision de l'avenir de Veitur Utilities : être capable de contrôler et de surveiller la qualité de l'eau en temps quasi réel. Avec BactoSense, nous pourrons toujours sélectionner les forages en fonction de la qualité, ce qui signifie que nous ne choisirons que les forages les plus proches des valeurs de bases stables de TCC et du HAP.
Cependant, il ne s'agit pas seulement d'avoir un appareil intelligent comme BactoSense, mais aussi de mettre en œuvre de meilleures méthodes pour contrôler les puits de forages. Nous devons ajuster nos processus et mettre en œuvre certains changements pour y parvenir. BactoSense nous a montré où chercher. Tout d'abord, nous avons appris qu'il existe de meilleurs moyens de contrôler les puits forages que d'ouvrir et fermer les vannes. Cela augmente considérablement la contamination bactérienne. Il faut plutôt une variation douce du débit pour éliminer lentement l'eau de mauvaise qualité. Deuxièmement, nous avons appris que la méthode utilisée pour rincer les puits de forage provoquait le retour de l'eau de rinçage et augmentait la contamination bactérienne. Nous devions donc également améliorer les techniques de rinçage.
Sigrún Tómasdóttir: BactoSense peut également être utilisé pour des projets de recherche, et les résultats peuvent être inattendus. Par exemple, lors d'une expérience, nous avons créé artificiellement des précipitations à proximité d'un puits de forage pour voir s'il était particulièrement vulnérable à la contamination de surface. Ce fut une coïncidence d'observer qu'en rinçant le puits vers la surface à l'aide d'un tuyau de 20 mètres de long, l'eau revenait directement avec une teneur bactérienne plus élevée.
Vous possédez donc cet instrument depuis environ cinq ans. Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui souhaiteraient adopter cette technologie ?
Sverrir Guðmundsson: Je leur dirais que BactoSense est très précis et fiable. Il nous aide à mieux gérer les risques et à contrôler la qualité de l'eau des puits d'extraction d'eau souterraine. Nous pouvons ainsi utiliser la ressource en eau de manière plus optimale.
Je leur dirais également de bien réfléchir à leur objectif final. Nous avons acquis le BactoSense parce que nous voulions une méthode pour déterminer ou détecter rapidement la qualité du microbiome. Nous avons commencé avec un seul BactoSense pour expérimenter et voir comment il fonctionne pour nous, notre objectif et nos puits. Nous avons effectué de nombreuses comparaisons de données avec des bactéries cultivées. Nous avons effectué des tests pendant plus d'un an pour voir comment l'appareil fonctionne dans des conditions de base stables, comme le beau temps, ou comment il réagit lors d'inondations de surface, de pluies et d'événements massifs. Notre projet pilote nous a beaucoup appris, notamment sur les informations que nous pouvions obtenir et sur la manière de les utiliser.
Sigrún Tómasdóttir: D'un point de vue pratique, je dirais aux nouveaux utilisateurs que l'appareil a besoin d'être entretenu et qu'il faut donc le placer dans des endroits facilement accessibles. Ils doivent envisager de disposer d'une alimentation électrique de secours, car en cas de coupure de courant, l'appareil s'éteint et vous risquez de perdre des mesures.
CHIFFRES-CLÉS VEITUR | ​ |
Population desservie : | 165 000 |
Source de l'eau | Eaux souterraines extraites de forages drainés par des champs de lave perméables. |
Capacité de production (moyenne annuelle): | ​2400 L/s à Reykjavik |
Production quotidienne moyenne: | ​740 L/s à Reykjavik |