La cytométrie en flux est depuis longtemps une méthode clé de la recherche et du diagnostic médicaux, mais son impact révolutionnaire sur l'industrie de l'eau commence à peine à se faire sentir. Le professeur émérite Thomas Egli, expert en microbiologie et consultant scientifique auprès de bNovate, nous fait part de son parcours et de ses réflexions sur la façon dont cette technologie modifie le paysage de l'analyse microbiologique de l'eau potable.
Découvrir le potentiel des applications dans le domaine de l'eau potable
Le parcours du professeur Egli dans le domaine de la cytométrie en flux a commencé il y a près de 20 ans. Ses travaux à l'Eawag, l'Institut Fédéral Suisse pour l'Aménagement, l'Epuration et la Protection des eaux, portaient sur l'activité microbienne, la croissance et la biodégradation des polluants dans des environnements pauvres en nutriments. Au début des années 2000, alors qu'il travaillait avec un groupe d'experts de l'OCDE et de l'OMS sur l'analyse microbiologique de l'eau, il s'est rendu compte du potentiel de la cytométrie en flux pour les applications liées à l'eau potable.
« À l'époque, les méthodes de détection moléculaire, qui promettaient un dépistage large et rapide des agents pathogènes sur des circuits intégrés, suscitaient beaucoup d'enthousiasme », se souvient le professeur Egli. « La cytométrie en flux était également considérée comme une possible méthode rapide, mais elle était jugée trop compliquée, trop chère et trop peu sensible. Toutefois, à la fin des années 1990, des améliorations au niveau des matériaux et des logiciels ont rendu possible la détection de petites cellules microbiennes à l'aide de cytomètres de flux grand public. »
La naissance d'une nouvelle méthodologie
En 2003, le professeur Egli a pris la tête du groupe de microbiologie de l'eau potable de l'Eawag. Avec le soutien de son directeur, il investit dans un premier cytomètre en flux, un appareil encombrant et coûteux qui s'est néanmoins avéré d'une valeur inestimable. « Nous avons adapté des méthodes pour compter les cellules microbiennes et déterminer leurs activités métaboliques dans l'eau potable », explique-t-il. En collaboration avec la société des eaux de Zurich, ils ont mis en pratique ces méthodes, ce qui leur a permis de mieux comprendre l'abondance et l'activité microbiennes dans les différents processus de production et de distribution de l'eau potable.
Leurs travaux pionniers leur ont valu le prix Mühlheim Water en 2010 pour avoir réussi à faire entrer la cytométrie en flux dans la pratique.
Et bNovate est entré en scène
En 2011, Peter Ryser, cofondateur de bNovate, a contacté le professeur Egli après avoir entendu parler de son travail à l'Eawag. Un an plus tard, Ryser et Simon Kuenzi (l'autre cofondateur de bNovate) développaient BactoSense, un cytomètre de flux en ligne automatisé et portable pour la surveillance de l'eau potable. « Ils m'ont invité à les rejoindre en tant que consultant scientifique en microbiologie, ce qui a marqué le début d'une collaboration fructueuse », explique le professeur Egli.
L'impact de la cytométrie en flux sur l'industrie de l'eau
La cytométrie en flux répond à deux problématiques cruciales dans l'analyse microbiologique de l'eau potable : déterminer avec précision la quantité de microbes présents et mesurer rapidement. La méthode de comptage sur plaque hétérotrophe (HPC), basée sur la culture des micro-organismes, sous-estime considérablement la présence microbienne d'un ou de plusieurs ordres de grandeur (une lacune souvent critiquée au cours des 50 dernières années). La numération cellulaire totale par cytométrie en flux (FCM-TCC), qui utilise des colorants fluorescents se liant à l'ADN pour détecter plus de 99 % des cellules microbiennes, permet d'obtenir une image beaucoup plus précise en 20 minutes au lieu des trois jours minimum nécessaires avec la méthode HPC. « La cytométrie en flux, en particulier le comptage cellulaire total (FCM-TCC), révèle le nombre réel de cellules microbiennes, ce qui remet en question la croyance de longue date selon laquelle l'eau potable est pratiquement stérile », note le professeur Egli.
La méthode FCM-TCC est de plus en plus acceptée et reconnue comme une alternative à la méthode HPC traditionnelle. En outre, avec BactoSense, les professionnels de l'eau disposent pour la première fois d'une méthode qui permet de surveiller en ligne et en continu un paramètre microbiologique de la source au robinet, en passant par les sites de production.
L'avenir de la surveillance microbiologique de l'eau
Le professeur Egli entrevoit un avenir radieux pour la cytométrie en flux dans l'industrie de l'eau. « Je m'attends à ce que le FCM-TCC et le comptage des cellules intactes dans l'intégrité de la membrane (ICC) deviennent des méthodes de routine pour l'analyse microbiologique de l'eau », prédit-il. Il prévoit également le développement de paramètres d'activité supplémentaires pour compléter ces méthodes de base, améliorant ainsi notre capacité à contrôler la qualité de l'eau.
Le professeur Egli souligne le potentiel d'instruments simples reposant sur l'autofluorescence cellulaire pour la surveillance des eaux de surface. « Avec l'augmentation de la température de l'eau, les réservoirs et les lacs utilisés comme sources d'eau brute pour la production d'eau potable sont plus vulnérables à la pollution par les cyanobactéries et les algues », explique-t-il.
En outre, il prévoit des avancées significatives dans la détection automatisée d'organismes indicateurs d'hygiène et de pathogènes spécifiques à l'aide de méthodes basées sur l'activité enzymatique ou la sélection immunomagnétique. « Les défis consistent à être plus rapide et atteindre une meilleure spécificité et une plus grande sensibilité », note-t-il. À cet égard, il s'attend à ce que les procédures hors ligne soient privilégiées et reste prudent quant à la faisabilité d'une généralisation de la détection en ligne des agents pathogènes. « Certaines méthodes peuvent faire exception, comme la détection en ligne de microbes fréquents tels que E. coli et les entérocoques dans les eaux de surface et les eaux brutes, la détection de P. aeruginosa dans l'industrie de l'eau embouteillée, ou des légionelles et des mycobactéries dans les tours de refroidissement », ajoute-t-il. « La cytométrie en flux, y compris des appareils comme BactoSense, peut être l'une des méthodes utilisées pour quantifier rapidement et de façon peu coûteuse les organismes cibles », ajoute-t-il.
Adoption généralisée et nouvelles normes
Il cite en exemple la mise en œuvre réussie du FCM-TCC par la Suisse, qui commence à être suivie par d'autres pays européens. Cette méthode a déjà été adoptée en Suisse (dès 2012 par l'Office fédéral de la santé publique, elle est désormais disponible sur plateforme de méthodes de la SSIGE), ainsi qu'en Autriche et en Allemagne. » Je suis persuadé qu'une norme ISO finira par être établie, sous l'effet des pressions et de la prise de conscience croissante des avantages de la cytométrie en flux. »
En résumé, la cytométrie en flux révolutionne l'industrie de l'eau en permettant une analyse précise et rapide des cellules microbiennes dans l'eau potable. Avec des progrès continus et une adoption plus large, elle promet de devenir la nouvelle norme en matière d'analyse microbiologique de l'eau.
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